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La Traversée du Costa Rica à Hawaii

Du 15 avril 2003 au 30 mai 2003

Traversée Pacifique

La traversée depuis la Baie de Nicoya vers l'île d'Oahu, Honolulu.

     A 10 heures le matin du 15 avril 2003, nous prenons notre élan pour parcourir les 4500 miles nautiques prévus jusqu'aux îles Hawaii.

     Pour commencer, nous faisons escale technique à l'île de San Lucas, pour retirer de l'arbre d'hélice un bout de filet que nous avons ramassé dans le chenal de sortie de Puntarenas ! Pendant ce temps, le vent qui souffle habituellement le matin du Nord au Sud en a profité pour virer de 180° dés l'après-midi entamé et souffle maintenant du Sud, pile dans l'axe de la baie. Et nous nous retrouvons au près serré avec un vent de 15 à 20 noeuds à tirer des bords pour sortir de la baie !!!! Cela commence bien. On prend un ris dans la grand-voile et diminuons la surface du foc de quelques tours de rouleaux. Et très philosophiquement, nous démarrons. Nous tirerons des bords tout l'après-midi, puis le soir venu, le vent tombe quand nous nous approchons du Cap Blanco juste à la sortie de la baie ! Le soleil se couche à 18 heures. Nous démarrons le moteur pour nous dégager de la pointe. On rencontre quelques bateaux de pêche, puis nous longeons l'île Blanca, une toute petite île à la pointe, qui paraîtra fantomatique sous l'éclairage de la pleine lune. De nombreux brisants illuminent sa côte sud, il vaut mieux ne pas trop s'en approcher. On consulte le thermomètre : l'eau de mer est à 30,4°C !!!

     Pendant notre première nuit, nous avons croisé deux cargos qui entraient dans la baie de Nicoya, quelques bateaux de pêche. Une brise légère de Nord nous déhale de la proximité de la côte. Puis dans la journée le vent faiblit, et après 8 heures de navigation, nous avons parcouru 8 miles nautiques ! Il y a un fort courant contraire de presque 2 noeuds.  Nous mettons le moteur en route quand le vent tombe tout à fait, il ne faudrait quand même pas que nous reculions !

    Troisième journée de traversée : le vent est passé Nord Nord Ouest. Notre cap est au 280°. Nous avons croisé la route de plusieurs cargos, et avons été survolé par un hélicoptère, qui s'est révélé être l'avant-garde d'un énorme thonier. Ce bateau de pêche a mis ses filets à l'eau à un mile de nous. Espérons qu'un petit thon se prendra à nos lignes.

fous de bassan           On affiche complet          Juveniles

     Dans la nuit, nous voici devenu  hôtel pour Fous de Bassan à Pieds rouges, ou bleus. Il y en a eu un avec des pieds jaunes !

Fous à pattes jaunes

Le seul exemplaire à pattes jaunes.

     Peu farouches, nous avons pu les approcher de très près pour les photographier. Au plus fort de la "saison", nous avons affiché complet avec une trentaine d'oiseaux qui se bousculaient pour avoir les meilleures places dans le balcon avant ! D'après le livre sur les oiseaux que nous avons à bord, les spécimens des photos ci-dessus sont des juvéniles. Ils n'auront leur apparence d'adulte qu'après 5 mues. Ils seront comme le blanc et noir ci-dessous, avec un bec d'un joli bleu. Ils ont une façon de pencher la tête de côté et de tordre le cou pour nous observer qui est rigolote. On pourrait croire qu'ils ont une cagoule qui leur couvre la tête jusqu'aux yeux, ne laissant dépasser que le bec.

           Adulte et juvenile          Adulte et juvenile

Adulte et juvénile.

     Ces gentilles petites bêtes trouveront l'hôtel tellement agréable que toutes les nuits, ils y reviendront pendant une vingtaine de jours. Bien sûr, le désagrément de la gente animale, c'est que la plage avant du bateau s'est transformée en plage de guano à grande vitesse. Aussi, on laissait les oiseaux s'installer pour la nuit, mais au matin, armés de la gaffe (avez-vous vu de près leurs becs) nous les chassions afin de nettoyer ce que l'on pouvait.

     Le soir, au moment de forte affluence, les atterrissages furent l'objet de plusieurs fous rires. Quelques arrivées ratées les font tomber et entraîner plus d'un de leur compatriotes dans leur chute, tout en douceur, rassurez-vous, puisque notre vitesse est de l'ordre de 2 noeuds et que l'eau est à 1,50 m sous eux. Quand le balcon avant est plein, ils investissent les filières beaucoup moins stables.

Gudul    Il y a même un juvénile manifestement à l'écart des autres peut-être à cause de son oeil borgne, qui préfèrera le balcon arrière à moins d'un mètre de nous. Nous le baptiserons "Gudul", et facilement reconnaissable à son oeil, il reviendra au même endroit plusieurs jours de suite.

     La nuit, quelquefois nous entendrons des "clongs !" causés par certains oiseaux qui se sont approchés trop prés de l'éolienne ou de l'antenne radio VHF, sans grand mal pour eux et pour notre matériel. La place de choix fut quand même la tête de mat, au grand désespoir de Jean-François car la nuit l'oiseau obstruait une grande partie de notre feu de navigation. Le seul endroit complètement interdit pour eux fut les panneaux solaires pourtant tellement tentants par leurs plateformes planes ! Jean-François fut intraitable !!! et les oiseaux obéissants !!

     Les jours passent et on trouve le rythme en ponctuant la journée d'occupations diverses. L'une d'elles est la réception de la carte de prévision météorologique. Nous avons pu recevoir ces cartes météos grâce à la radio du bord et à un programme de lecture sur l'ordinateur. Ainsi tous les jours, nous savions à peu près la force et la direction des vents que nous allions rencontrer.  Nous nous doutions qu'entre le Costa Rica et l'île de Clipperton les vents seraient plutôt calmes. Mais peut-être pas calmes à ce point et surtout à dominante ouest, ce qui veut dire dans le nez pour nous ! Des courants contraires ont ralenti notre route. Nous avons longé le parallèle des 10° Nord jusqu'à Clipperton puis avons fait route direct vers les îles Hawaii.

Grand calme

Calme plat....

   Lors de journée où le vent souffle comme sur la photo ci-dessus, nous affalons les voiles et en profitons pour vérifier tous les points d'usure sur les voiles et les écoutes. Le courant contraire nous fait reculer pendant la nuit et dans la journée nous essayons avec le spinnaker de rattraper les miles perdus.

     Dés que le vent est favorable (venant de l'arrière), nous porterons le spinnaker pour essayer de gagner dans l'ouest. Là où le bateau ne bouge pas d'un pouce avec la grand voile et le génois léger, le spinnaker nous déhale légèrement à 2 ou 3 noeuds, ce qui est très satisfaisant.

Thon rouge et bonite

Enfin au quinzième jour de navigation, un thon rouge de 80 cm et une bonite plus petite sont remontés à bord. Nous casserons beaucoup de lignes. Nous avons dégusté pendant deux jours le thon rouge cru avec une petite sauce pour sashimi. Délicieux. La bonite a rempli plusieurs en bocaux Le Parfait.

 

En pleine mer

TORTUE

     Un jour de grand calme (très nombreux parmi les 24 premiers jours de navigation) Jean-François est allé se baigner pour vérifier l'état de la coque. Beaucoup de pousse-pied (ou anatifes) ont trouvé le transport gratuit bien pratique et de nombreux coquillages parasites qui profitent bien et grossissent allègrement adorent la peinture anti-salissure passée en Guadeloupe. La mer est transparente et parait bleu clair sous le ciel sans nuage. On aperçoit pas loin du bateau une tortue à grosses écailles qui se rapproche. Jean-François va l'observer grignoter les anatifes à l'avant de la coque, puis la tortue aperçoit Jean-François et se dirige vers lui et semble bien décidée à goûter un morceau de "noirmoutrin". On imagine facilement la vitesse à laquelle le baigneur est remonté dans la jupe talonné par la tortue qui s'est arrêtée à 5 cm de sa palme encore dans l'eau, surprise de l'échappée d'un repas à si belle allure.

Tortue    Tortue de mer

     Entre le 23 avril et le 30 avril, soit une semaine de navigation, nous aurons parcouru 200 miles nautiques !!!

    Pendant les permiers 24 jours, nous aurons des calmes ou des vents très légers venant de l'ouest. Il faut rester zen surtout quand on s'aperçoit que la distance parcourue pendant ces 24 jours est de 1500 miles sur les 4500 miles prévus. Nous aurons peu de vent mais beaucoup de houle qui nous ballote d'un bord sur l'autre. Quelques fois de la houle croisée Nord et Est. De très grands bancs de dauphins nous offrent des spectacles de sauts et de pirouettes fantastiques. Voir débouler 200 dauphins à toute vitesse vers le bateau tout en jouant dans les vagues, c'est magnifique.

L'orage         Orage

     Nous avons aussi beaucoup d'orages très violents et des grains avec de la pluie soutenue. La nuit, les éclairs illuminent le ciel, très haut dans les nuages amoncelés. Dans ces moments-là, on se fait petit et on souhaite que la foudre ne s'aperçoive pas de la présence d'un beau mat métallique à portée d'éclair.

     De nombreux cargos croiseront notre route, mais nous ne verrons qu'un seul voilier faisant route identique à la nôtre : un vieux gréement coque blanche sous foc et voile d'artimon, se balançant au rythme de la houle.  Nous tentons un contact radio VHF sans succès.

     Arrivés vers les 110° ouest, nous sommes régulièrement dépassés par des ondes tropicales qui se forment dans le creux de l'Amérique Centrale, bien que ce soit très tôt en saison. La saison cyclonique ne commençant qu'en juin. Pendant le passage d'une onde tropicale, le vent force jusqu'à 30 noeuds. Ponctuellement, le bateau prend une vitesse raisonnable enfin, jusqu'à ce que l'onde passe et que le vent vire de 180° avant de retomber proche de zéro.

     Le 10 mai, passé au nord de l'île de Clipperton, (petit îlot français situé au large des USA) nous attrapons les vents de Nord d'alizés. Ouf. Le ciel change d'apparence : sur fond bleu, de petits nuages blancs sans risque de grains dessous. Le vent devient régulier en direction (nord à nord-est) et en force (entre 15 et 20 noeuds). Nous avançons 7 à 8 noeuds. La houle et les mouvements du bateau nous changent des longues périodes d'inaction pendant lesquelles nos muscles se sont ramollis. On est épuisé par le moindre effort. Il va falloir se ressaisir ! par quelques mouvements de gymnastique. La température très élevée au Costa Rica devient plus agréable : à 18 heures il fait 27,9°C dans le bateau. Nous perdons de nombreux leurres et hameçons car le nylon casse (poisson trop gros ou ligne trop faible ? ).  Aussi après plusieurs essais, nous avons supprimé le nylon et  monté un bas de ligne d'acier avec l'hameçon directement sur le bout avec un émerillon. Au moins même si les hameçons se tordent,  cela ne casse plus. Nous attrapons une bonite à ventre rayé (il en existe avec le dos rayé). Allez, je m'attelle à mes bocaux. En dégustant le poisson de mes bocaux je le trouvais un peu sec. Un ami pêcheur de métier, retrouvé à Saint Martin, m'a donné une recette : il faut mettre le poisson cru (avec du poivre) dans le bocal et le recouvrir d'eau de mer avant de stériliser le pot 1 heure. Et maintenant, mes conserves de thon ou bonite sont délicieuses.

Sauvé de justesse     Un jour sur l'une des deux lignes que nous traînons toujours à l'arrière, au lieu de ramener du poisson, nous avons accroché un fou trop tenté par le brillant de l'hameçon. Le pauvre oiseau a bu une sacrée tasse. Jean-François armé de gants a décroché l'hameçon de son bec. L'oiseau s'est laissé faire puis il est resté dans la jupe pendant deux longues heures à se remettre de ses émotions. Ses plumes étaient toutes ébouriffées et son jabot était tout gonflé d'eau. Ses pupilles dilatées se sont calmées et sont redevenues de taille normale. Il s'est bien remis et est retourné se poser sur l'eau.

     Le 15 mai, nous observons une éclipse de lune presque totale. Magnifique.

     Pendant la traversée, l'éolienne tombe en panne. Elle tourne encore mais au ralenti et ne charge plus un seul ampère. Puis quelques jours après, en faisant fonctionner le groupe électrogène pour recharger notre parc de batteries, une alarme sur le moteur se met à "couiner" puis tout s'arrête. Nous allons voir dans le compartiment technique. Une grosse fumée noire s'échappe par le panneau !!! Panique à bord. Le feu est le danger le plus à craindre à bord d'un bateau. Jean-François se précipite : une minuscule fuite d'eau a créé un court-circuit en reliant le + et le - des fils allant du groupe au parc de batteries. La protection plastique des fils a fondu et a partiellement brûlé : ce qui a donné la forte fumée noire. Bon, ça n'est pas aussi grave que cela parait. Mais, encore du travail à ajouter à la liste qui s'allonge ! L'escale à Hawaii va être très technique ! Jean-François réparera provisoirement le circuit afin de pouvoir tout de même recharger les batteries

     Depuis que nous avons atteint les alizés et ses vents réguliers de Nord-est, nous avançons beaucoup mieux, avec une moyenne de 6,5 noeuds ! Par contre la mer s'est creusée et de la houle croisée de Nord et d'Est lèvent des vagues courtes de 2 à 3 m.

     A partir du 20 mai, nous surveillons tous les jours une dépression tropicale, qui deviendra tempête tropicale avec des vents annoncés de 35 à 45 noeuds et qui semble suivre notre route à 1500 miles derrière nous. Elle s'appelle "Andrés" et se déplace à 13 noeuds vers l'ouest. Il est encore tôt pour les cyclones, mais on préfère garder l'oeil ouvert. Nous serons environnés d'ondes tropicales qui nous amèneront des orages et des vents locaux assez forts. Le 23 mai, nous changerons le cap du bateau pour faire du plein sud, afin d'éviter la zone dangereuse de la tempête. Elle se situe alors sur notre route à 800 miles derrière nous et se déplace à 18 noeuds avec des vents annoncés de 45 à 55 noeuds. Le lendemain, le bulletin météo annonce un affaiblissement de la tempête aussi nous nous remettons au bon cap vers Hawaii. Effectivement, le vent et la mer se calmeront. Nous barrons la nuit chacun notre tour pour économiser les batteries .

     Les trois derniers jours de navigation avant d'arriver sur Oahu seront idylliques. De très belles conditions de mer calme et de vent portant. Cela fait oublier la longueur de la traversée (45 jours) et les moments où la mer était toute chamboulée. J'apercevrai la terre la première, c'est le sommet de l'île de Hilo culminant à plus de 4200 m qui apparaît au-dessus des nuages.

     Le 30 mai nous longeons la côte sud d'Oahu et on s'approche de Honolulu au matin. De grands buildings posés le long des plages, sur lesquelles viennent se briser d'immenses rouleaux.

     Voilà : nous avons parcouru 4593 miles exactement en 45 jours. Avec une moyenne de 2,65 noeuds pour faire 1546 miles pendant les 24,5 premiers jours ! et 6,45 noeuds pour les 3047 miles en 20,5 derniers jours. Vivent les alizés.